OH ! MARYLOU
Préface de Jean-Louis Foulquier
(Directeur des Francofolies, producteur et animateur sur France Inter)
À chacun son roman. Le mien est déjà musclé en ce mois de juillet 1962. J'ai tout juste dix-neuf ans, les yeux encore ouverts pour avaler le monde et la même bouche pour mentir.
Marylou me plonge dans un univers qu'on a envie de sucer, de déguster sans fin. Univers qui me rappelle que je cours sûrement toujours après ce môme qui n'aurait jamais dû cesser de jouer à cache-cache avec son innocence.
L'adolescente débarque chez sa tante en vacances, près de la station balnéaire que je connais bien. À une époque où le rock'n'roll fait la loi.
Les villes, les campagnes sont chahutées, bouleversées par l'arrivée de cette musique qui s'épanouit sur toutes les lèvres, trimballant derrière elle une réputation sulfureuse qui séduit même une partie de la bourgeoisie en mal de divertissements.
Les formations fleurissent. Johnny Hallyday, encore balbutiant, mais catalyseur de la génération rock. Idole de bronze et de chair, johnny est à la fois un copain et un mythe. Eddy Mitchell avec les Chaussettes noires mène le groupe phare de l'époque. Les adultes les assimilent à des "blousons noirs" parce qu'ils expriment déjà le message des banlieues. Ils ont pourtant chanté pour les soldats d'Algérie à la demande du gouvernement français. Son rival, Dick Rivers et ses Chats sauvages, également pionniers du rock dans notre pays.
C'est en 1962 que Richard Anthony chante son plus grand succès : "J'entends siffler le train", authentique slow et tube de l'été sur lequel nous avons tous emballé notre Marylou
J'aimerais parler des autres, mais ils sont alors nombreux à vouloir gravir les marches de la gloire.
C'est l'année de la découverte de Claude François, cet ami beaucoup trop tôt disparu. Et puis, l'idole-copine, la reine du twist, la chanteuse N°1 des tennagers, celle qui devient Madame Hallyday : Sylvie Vartan. Les filles de l'époque s'habillent, se coiffent comme Sylvie. Marylou n'échappe pas à la règle. Enfin, la plus romantique qui ne s'intègre pas vraiment au mouvement rock. Françoise Hardy se démarque de la vague de ces jeunes twisteuses que sont Sylvie Vartan, Gillian Hills ou Pétula.
Les héros du roman sont ptofondément imprégnés de cette culture américaine véhiculée par différents vecteurs de communication. Les États-Unis viennent de lancer le satellite Telstar. La diffusion d'émissions de télévision en Mondovision est maintenant possible. Salut Les Copains, premier magazine pour les jeunes vient de paraître. Suivi par Mademoiselle Âge Tendre. La radio diffuse largement cette "musique de sauvages". Les moins de vingt ans ont, enfin, droit à la parole. La jeunesse représente une force neuve. Elle recherche son identité à travers des signes, des codes, un langage, une musique, des attitudes.
De son, le rock devient vite image. De loisirs, de rêves, de liberté. Mais d'où sont violemment bannis le travail, l'asthénie et la grisaille quotidienne, la pesanteur du sérieux. Le rock se veut célébration de l'ère médiatique. Tous les jeunes des sixties mordent à pleines dents la vie qui leur est offerte. Leur ivresse ignore encore que l'âge adulte est une interminable gueule de bois.
C'est l'époque du plein emploi, ou presque. Celui qui désire manger le peut aisément. L'angoissse du lendemain n'existe pas. Une fois le logement payé, on peut vivre avec dix balles en poche par jour. Les nouveaux francs ont déjà fait leur apparition, mais personne n'y est habitué.
Et pendant ce temps, la France se dispute l'Algérie. Les Français souhaitent son indépendance pour une grande majorité d'entre eux. Les Pieds Noirs quittent leur pays, la mort dans l'âme. Souvenir d'un pénible déracinement. La France perd son empire colonial. Un référendum décide du suffrage universel pour l'élection du Président de la République. L'Église sous l'impulsion du pape le plus libéral qu'elle ait connu, Jean XXIII, tente de se mettre en conformité avec son temps. La messe n'est plus dite en latin. Mais le rock est de plus en plus chanté en anglais.
Une société bascule vers une autre. Prémices des événements de Mai 68 qui seront l'apothéose de la libération des moeurs et des consciences. Sous les pavés la plage, il est interdit d'interdire, autant de slogans soixante-huitards que j'aime et qui réveilleront en moi un romantisme que je croyais enterré à jamais.
Marylou nous fait pressentir cet extraordinaire éclatement des idées. Une fille qui mène la danse dans un monde de garçons. Avec la violence en couveuse et la fraîcheur des sentiments en surimpression. Il existe une frontière incertaine entre l'Amour et l'Amitié. C'est l'époque des amours sans contrainte. On peut s'aimer sans croiser ce putain de virus qui donne la mort. Ce sont les premiers baisers à pleine bouche et les caresses précises sous des maillots de bain trop serrés laissant découvrir de charmantes demi-lunes. L'amitié entière, possessive, pure, mène aux plus belles histoires d'hommes. Marylou réveille une multitude de souvenirs.
Je n'aime pas les dates. Je les oublie. Mais les événements les impriment. 1962, c'est l'année du départ de Marilyn Monroë pour un voyage sans retour. Édith Piaf se marie avec Théo Sarapo, juste avant de s'en aller, elle aussi. C'est la sortie du film mythique, "Le jour le plus long". Je m'en souviens très bien puisque j'y étais figurant. Je suis même devenu pendant trois semaines, le chevalier servant de Robert Mitchum, à grands coups de bouteilles de vin rouge. Pour la quatrième fois, l'équipe de France de rugby remporte le Tournoi des cinq Nations. .. La liste est longue tant l'année est fertile.
Aujourd'hui, que reste-t-il de ces Amours, de ces Amitiés ? Nous vivons l'époque du fric d'abord, alors qu'en 1962, c'était celle des copains d'abord.
Merci à l'auteur de nous transporter vers des instants merveilleux d'une ère si riche en découvertes et en espoirs.
Jacques, emmène-nous encore dans ta machine à remonter le temps car l'homme est toujours à la recherche de ses rêves d'enfant.                                                                                                                   Jean-Louis Foulquier

                                                                                 RETOUR